Lorgues

Présentation par M. Louis Nardin de son livre " Lorgues, Citée franche de Provence"
à la Société d'Études Scientifiques et Archéologique de draguignan et du Var
le 22 Novembre1972 .

  " Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Monsieur le Président, je tiens tout d'abord à vous remercier de l'honneur que vous me faites en me demandant de présenter mon livre aux membres de la société d'Etudes Scientifiques et Archéologiques de Draguignan. Croyez que j'en suis très touché et d'autant plus que je ne m'y attendais pas.

Je viens donc vous annoncer la naissance il y a quelques jours d'un enfant ayant pour nom " Lorgues Cité Franche de Provence ".

Mais puisque naissance il y a, il est tout indiqué de parler un peu de la conception, car vous êtes en droit de vous étonner qu'un étranger, implanté depuis quatre ans seulement en Provence, ait pu penser écrire l'histoire d'une ville qui lui était totalement inconnue. Disons tout de suite qu'il n'y avait pas là déformation professionnelle d'écrivain, car je vous avoue que c'est mon tout premier ouvrage.

Le "pourquoi " de ce livre ? c'est, en un mot, l'amour que j'ai éprouvé pour cette bourgade, ce qui suffit à tout expliquer n'est-ce pas ?

Officier ayant bourlingué à travers le monde en des circonstances que l'on qualifie généralement de troublées, originaire des pays froids pour ne pas dire glacials du nord de la Franche-Comté, j'aspirais à prendre ma retraite dans un climat agréable et dans une région où la vie n'aurait pas encore été trop perturbée par l'agitation fébrile des grandes cités modernes. Le Moyen-Var semblait répondre à ces deux conditions.

C'est alors que le hasard intervint et fit bien les choses car il dirigea mes premiers pas sur Lorgues, ville dont j'ignorais jusqu'au nom. Ce fut le coup de foudre. J'ai toujours été attiré par les choses anciennes, par les vestiges du plus lointain passé ; Lorgues avec ses remparts, ses rues moyenâgeuses, ses venelles, sa population au rythme lent d'antan - d'autant plus remarquable que je venais de passer 10 ans à Paris - donc Lorgues me charma, m'enthousiasma, et sans plus attendre, faisant confiance à ma bonne étoile, je décidai de planter ma tente en ce lieu, sans même connaître encore le dicton selon lequel on y " vit vieux et content " !

Mais quelle était l'histoire de ce bourg si typiquement provençal où l'on retrouvait à chaque pas des traces évidentes des siècles passés ? Seul un livre écrit il y a plus d'un siècle, en 1864 exactement, par un Lorguais, le Dr Cordouan, me renseigna dans une certaine mesure mais cet ouvrage ne remontait pas au delà du 12e siècle et s'arrêtait à la Révolution de 1789. Certes il m'intéressa, mais me laissa sur ma faim ; il ne me suffisait pas et je voulais en savoir davantage. Il n 'y avait donc plus qu'à me lancer dans la recherche des éléments susceptibles de satisfaire ma curiosité. J'eus alors la surprise de tomber sur une véritable masse d'informations, masse informe et disparate au premier abord, mais pleine de promesses ; d'où l'idée initiale de les classer et peut-être même de les mettre à la disposition des habitants qui paraissaient très attachés à un passé qu'en fait ils ne connaissaient pas !

Je n'avais pas l'intention d'écrire un livre ; mais au cours d'une conversation, Maître Viton, notaire et ancien maire, à qui je faisais part de mes idées, s'écria que je m'attaquais à une tâche pleine d'embûches et de difficultés de tous ordres, pratiquement impossible en somme ; en moins de 3 mois, prédisait-il, j'aurais abandonné. Mon sang de Franc-Comtois ne fit qu'un tour, je me dis " Chiche ! " à moi-même et me mis immédiatement à l'oeuvre.

Trois ans et demi de recherches dans les bibliothèques municipales, les archives départementales, communales, paroissiales, notariales et privées, m'ont, je crois, permis de reconstituer l'essentiel de l'histoire lorguaise. Je dois dire que, partout, j'ai rencontré une compréhension, un intérêt, une sympathie qui, non seulement ont facilité ma tâche, mais m'ont encouragé à persévérer dans ce véritable travail de bénédictin. Vous donner la liste de ceux qui m'ont aidé serait fastidieux ; toutefois permettez-moi de citer les regrettés Jean Boissière, Conservateur de la Bibliothèque municipale de Draguignan et Jean-Jacques Letrait, Directeur des Archives Départementales du Var ; puis l'abbé Boyer, notre collègue, Directeur du Centre de Documentation Archéologique du Var ; le Père-Curé de Lorgues, Remy Munsch ; le Maire André Négrel ; Maître Viton et Maître Clavier, notaires à Lorgues, qui, tous, ont mis leurs archives à ma disposition ; je citerai aussi des amis qui, comme Gaston Clément, ancien maire et Président du Tribunal de la Chambre de Commerce de Draguignan, évoquèrent aimablement leurs souvenirs; d'autres qui, tel Eugène Simon, n'hésitèrent pas à se rendre à Aix-en-Provence pour dépouiller certains documents dans les bibliothèques de la ville et des Facultés ; d'autres enfin ont été jusqu'à entreprendre des fouilles systématiques dans leurs propriétés pour y retrouver des vestiges du passé, ainsi Adrien Codoul de St Jaume dont l'esprit observateur a permis de découvrir des traces intéressantes d'un passé très reculé. Que tous trouvent ici l'expression publique de ma profonde reconnaissance.

Pres de quatre années de gestation et mon livre enfin prêt est arrivé au monde la semaine dernière, sur les presses des Imprimeries Riccobono, au Muy ; parrainé par l'abbé Boyer et le père-curé Munsch, il reçut le nom de "Lorgues Cité Franche de Provence ".

Lorgues est en effet l'une des rares villes de Provence à n'avoir jamais eu de seigneurs ; ses libertés, d'origine ligure, furent maintenues par les Romains et consacrées par des privilèges accordés et sans cesse renouvelés par les souverains dont elle dépendait directement : Comtes de Provence, Rois de France avant la Révolution et à la Restauration, Napoléon Ier et Napoléon III.

Lorgues, jalouse et fière de ses libertés, devait les défendre avec acharnement et, souvent avec succès tout au long des siècles, ce qui lui vaut une histoire pittoresque, vivante, parfois savoureuse et parfois tragique. La ville mena la lutte avec " force " et " tous azimuts ", selon une expression à la mode dernièrement, que ce soit contre les envahisseurs sarrasins ou barbares, les moines du Thoronet, les seigneurs des environs, la monarchie absolue, les révolutionnaires, les " rouges " ou les " blancs ". Avec " force " ai-je dit, mais aussi avec " fidélité " totale au pouvoir central, le seul souverain qu'elle reconnaissait ; cette fidélité prit même un aspect assez dramatique en décembre 1851, lors du coup d'état de Louis Napoléon, Lorgues refusant de se joindre à l'insurrection armée du Var. " Force et Fidélité " c'est la devise qui figure sur les armoiries municipales et elle correspondit à la réalité jusqu'à la Première Guerre Mondiale.

Il n'en fut plus de même à partir de 1918 ; depuis lors l'histoire de Lorgues perd de sa saveur et de son originalité car, à l'instar de toutes les communes françaises, elle dut abandonner ses privilèges locaux et se soumettre totalement au bon vouloir et à l'étroit contrôle d'un Etat de plus en plus omnipotent.

C'est cette histoire que je me suis efforcé de retracer en écrivant la vie de cette petite communauté provençale sur les plans politique, économique, social et religieux, replacée dans le cadre des grandes époques correspondantes : Empire Romain, Comté de Provence, Royaume de France, Empire et République Française. L'ouvrage comprend près de 500 pages avec illustrations, plans, dessins et photographies, tous inédits. Bien que je me sois efforcé d'être concis, concision parfois même de type militaire, il ne m'a pas été possible de faire plus court. Je me suis également efforcé d'être aussi impartial que doit l'être un historien digne de ce nom. En ce qui concerne tout au moins la période actuelle, car le récit ne s'arrête qu'en mars 1971, j'ai pu contrôler l'absence de parti pris que je m'étais imposée ; la partie du texte concernant les trois derniers maires de Lorgues leur fut soumise et n'a soulevé de leur part aucune objection.

Pour terminer, je vous dirai que si cette oeuvre m'a passionné par les découvertes faites au cours de mes recherches, elle m'a donné surtout une immense satisfaction en raison de l'accueil qui lui a été réservé par la population dans sa quasi totalité. Cette dernière a fait plus que de m'accorder cette sympathie courtoise propre à tout Provençal, elle m'a donné l'impression de m'adopter sans réticence aucune et de me faire entièrement confiance. " Quand sort-il ce livre ? Nous l'attendons impatiemment " sont les mots qui m'accueillent depuis des mois et qui sont suivis depuis peu par " Et maintenant vous nous en préparez un autre au moins ? ". Or ils n'ont pas encore lu ni même vu le premier !

A cette marque de confiance je ne puis répondre qu'en plagiant Brassens : " Elle m 'a réchauffé le coeur et, dans mon âme, elle brûle encore à la manière d'un feu de joie ".


 

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