Lorgues

Casimir DAUPHIN
( 1820-1888 )

 Dauphin est né à Lorgues le 4 décembre 1820, d'un père potier de terre, Louis Dauphin, et d'Anne Polin Mossy. Les parents s'installent plus au Nord, à Aups, où ils décèdent (le père en 1834, la mère en 1838). L'univers de l'enfance de Dauphin est donc ce Haut Var profondément rural, ses petites communautés baignant dans une nature à la fois douce et violente. La sensibilité de Dauphin en demeurera marquée à jamais, et ses Bastidanos entrecroiseront l'attachement au groupe villageois et l'amour de cette nature qui l'entoure. _Je ne sais rien pour l'heure des dix ans qui suivent la mort de sa mère. _L'acte de son mariage (A.M.Toulon, 25 mai 1848) présente un ouvrier cordonnier de 27 ans, domicilié à Toulon (dans ce qui est aujourd'hui la vieille ville). Il épouse une jeune femme de 23 ans, Jeanne Camille Petit, domiciliée à Toulon mais née à St Jean de Lône, Côte d'Or, le 15 mars1825. Les jeunes témoins sont issus de l'artisanat toulonnais : Laurent Naudin, 30 ans, facteur de pianos, Toulon, Jean Pierre Saef, 37 ans, luthier, Urbain Bonnaud, 31 ans, maître tailleur, Antoine Abeille, 22 ans, menuisier. _Une fille, Jeanne Dauphin, naît bientôt (A.M.Toulon, 14 mai 1849). Dauphin est maintenant cordonnier, rue des Marchands. Les témoins sont Bonneau, tailleur d'habits, et Hyacinthe Fortoul, médecin. _Première indication de ses orientations politiques : Fortoul est un démocrate socialiste connu (il sera emprisonné après le coup d'État). Et la présence répétée du tailleur (malgré le changement d'orthographe) pointe l'affinité, qui n'est pas que de voisinage, entre ces tailleurs et ces cordonniers dont les sympathies démocratiques étaient bien connues, et qui faisaient volontiers de leurs échoppes des lieux de propagande. La police le savait bien... _À la naissance de sa seconde fille, Alexandrine, 25 juillet 1850, Dauphin a quelque peu grimpé dans l'échelle sociale : il est désormais " marchand de chaussures, 3 rue des Marchands ". Les témoins sont toujours des artisans, Antoine Cival, 40 ans, tailleur de pierres, et Alexandre Poncy, 27 ans, maçon. _La présence de Poncy est révélatrice. Alexandre n'a pas les prudences de son célèbre frère, Charles Poncy le poète-maçon. Militant démocrate depuis longtemps engagé (il avait reçu Flora Tristan en 1844), Alexandre est aussi à ses heures poète, provençal plus que français. _Ainsi, dans cette proximité avec la figure originale d'Alexandre, s'éclaire un des aspects majeurs de la personnalité de Dauphin, ce lien entre la condition du travailleur manuel, ouvrier et artisan, et le rapport à la culture. _Faisons un petit retour en arrière. En 1848, datée du 7 février (à la veille donc de la République), était publiée une curieuse pièce de théâtre : L'ouvrier-poète, drame en un acte, en prose, dédié aux Ouvriers par Dauphin et Piétra (Imprimerie Vve Baume, Toulon). Les prénoms des auteurs ne sont pas donnés, mais Piétra est certainement le jeune bibliothécaire démocrate Barthélémy Piétra, qui sera une figure de la vie littéraire de Toulon sous le Second Empire. Et nous pouvons aussi reconnaître Casimir Dauphin... En effet, dans cette pièce touchante de maladresses et révélatrice d'un certain air du temps, l'ouvrier cordonnier a pu s'identifier au personnage d'André Maurel, ouvrier-poète, comme Pietra a pu s'identifier au personnage de Jules Maurel, avocat, et grand admirateur des généreux poètes ouvriers, dont il &laqno; aime beaucoup la lecture, et particulièrement la lecture démocratique » : il cite évidemment en premier Charles Poncy. Les deux Maurel sont cousins. Mais le père de Jules, " riche propriétaire et négociant " égoïste et borné, a laissé son frère s'enfoncer dans la gêne et y mourir. Il méprise totalement André (son neveu donc), qui n'a pu subsister qu'en embrassant la condition ouvrière. Maurel le bourgeois veut donner à un parvenu sans scrupules sa fille, la tendre et intelligente Émilie, mais tout finira bien, André et Émilie s'aimeront, avec la bénédiction de Jules. _Le fil rouge de cette pièce bien oubliée est l'immense désir de reconnaissance de l'ouvrier, qui témoigne par sa poésie (française) qu'il a une sensibilité, un cur, une vraie morale, et qu'il doit être reconnu en égal par ceux qui ont eu la chance de recevoir pleinement l'instruction et la culture. C'est la clé de la démocratie à venir. Aucune autre revendication de classe, aucun appel à la lutte... _Dans quelques vers siens qu'André déclame à Émilie, on peut reconnaître une thématique que Dauphin poursuivra toute sa vie, la nature refuge et consolatrice de la dure réalité des villes :

Paisible solitude où mon âme s'envole, _Quand le besoin me rive à la boue des cités, _Où je vais épurer mes sens surexcités _Au doux souffle d'Éole. _Souvent dans le délire oubliant mon lien, _Je m'élance... et l'idée en son vol aérien, _Va seule visiter le peuplier dont les branches _Ombragent la rigole où je bois les dimanches, _Le tertre où je m'assieds lorsque je suis trop las. _Si le sort dans les rues retient un jour mes pas, _Alors morne et pensif je regarde la foule, _Qui parée, orgueilleuse avec pompe s'écoule ; _Si je coudoie quelqu'un dans ce troupeau mondain _Un regard sur ma veste arrive avec dédain...

 

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